Tout a commencé lorsque mon grand-père…
Je livre un peu de mon histoire dans cet article en vous partageant un texte personnel écrit en 2008 chez mes grands-parents. On y lit les prémices de mon intérêt à photographier la vieillesse, en écho à ma propre relation avec mes grands-parents et à comment apprivoiser le temps qui passe. Bonne lecture !

Tout a commencé lorsque mon grand père est allé arroser les fleurs sur la tombe de ses parents (mes arrières grands parents donc) et qu’il m’a indiqué d’un doigt un endroit dans la pelouse où il y avait un caveau et qu’il m’a dit : « Voilà un an que l’on a fait faire ça, on ira ici quand on partira ta grand mère et moi ». J’ai acquiescé d’un signe de tête. Ma grand mère était en train d’expliquer je ne sais quoi à ma petite soeur un peu plus loin. On est remonté dans la voiture.
On est arrivé. Je suis descendue et j’ai levé la tête. Cette maison, la maison, leur maison … Celle que j’ai toujours connue. Les belles fleurs de partout, le portique à droite.
On est entré dans la maison, j’ai posé ma valise dans « ma » chambre, et je me suis avachie sur le lit. J’ai fermé les yeux. Je les ai rouverts. J’ai réalisé qu’aujourd’hui je pouvais dire » ah oui il y a … dix ans ! ». Il y a dix ans … chaque été que j’attends avec impatience pour aller chez Papy et Mamie dans ce village au fin fond de l’Oise.
Je me suis sentie « bizarre ». Toute émue, touchée par quelque chose au plus profond de moi. J’ai ressenti le besoin d’aller dans tous les recoins de la maison. J’ai commencé par le sous sol. Je me suis assise, tout était calme. J’en suis venue à me demander si c’était bien moi qui observais les objets et les meubles ou si c’étaient eux qui m’observaient. Sans attendre de réponse, j’ai ouvert l’armoire devant moi. Il y a toujours ces boîtes de déguisements, et ces boîtes de médicaments vides pour quand on jouait aux pharmaciennes. Voilà combien de temps que nous ne nous sommes amusées avec ? Quelqu’un a pris notre place : la poussière.
Je suis sortie dehors. La balançoire, les anneaux, le trapèze. Et tout m’est revenu. Vous savez comme dans les films. Les acteurs ferment les yeux, et c’est la séance des « flash back ». C’était tout à fait ça. Les « spectacles » que l’on organisait avec ma sœur. De vraies artistes, avec changement de costumes et plus encore … à cette époque je rêvais de devenir mannequin ou chanteuse. Et à cette époque je ne me prenais pas la tête avec ma sœur pour savoir qui « aurait » l’ordinateur la première, et combien de temps, machin, machin. Je passe où il y avait jadis un lilas. Tous ces repas de famille …
J’avance. La basse cour. Les poules, les lapins, les canards, rien ne semble vieillir ici. Rien ne semble changer. A part que le matin je ne me lève plus pour aller leur donner à manger avec mon grand père. J’y prenais tant de plaisir. Mais ça m’a l’air bel et bien fini. Il y a une lapine noire dans la cage du défunt lapin que je voulais domestiquer: « Roucky ». Quand il est mort, ça n’a pas été un problème, mon autre soeur en a baptisé un « Roucky 2 ». Le jardin, le grand potager … toutes les pommes de terre que j’ai pu ramasser avec Papy. Enfin ce qui m’intéressait, c’était de gratter dans la terre et de ramasser les vers de terre. Je faisais ainsi le plus beau des goûters aux canards et j’étais la plus heureuse de leur faire plaisir. Le grand cerisier, mon ancienne cabane (qu’est ce qu’elle était bien), l’endroit où l’on faisait les feux … Je finis par remonter à la maison.
C’est fou ce que chaque photo, chaque objet, chaque détail me rappelle un souvenir. Même un titre de livre, de cassettes vidéo (pas de DVD à l’époque). Chaque pièce m’évoque quelque chose, une atmosphère bien particulière. La véranda où l’on a passé des heures et des heures sur nos cahiers de vacances ou bien à dessiner. Le salon où régnait « le Tour de France » chaque été, les somnolences de Papy, la boîte à friandises sur la table. La cuisine et ses bonnes odeurs, le bon pain d’épice dans le four, Mamie qui parle toute seule quand elle y cuisine. La chambre aux mille confidences, les rires avec ma demi-cousine, ou avec … « Mathilde ?! Viens voir à la télé il y a la messe pour les 10 soldats tués en Afghanistan ! » Purée. Je ne sais pas si c’est à cause de tout ce que je me suis remémorée mais j’ai eu envie de pleurer.
Ca me fait penser à ce que me raconte ma grand mère … elle et mon Papy ont vécu la guerre 39-45. Agés de 6 ans, ils ont dû marcher une centaine de kilomètres pour se mettre à l’abri. Ma grand-mère disait à son petit frère « Papa il dit qu’on est pas assez riche pour aller en vacances, mais là on y est !! ». Je m’imagine les couchettes d’infortune, les fermiers qui leur prêtaient un tas de paille pour la nuit dont elle m’a parlé. Puis son retour, son école occupée par les Allemands. J’aime quand elle me parle de la « guerre ».

Quand tous les gens de cette « période », ces témoins réels de cette page de l’Histoire ne seront plus là, qui pourra nous raconter, nous transmettre le Souvenir ?
Probablement que mes grands-parents n’aimeraient pas que je dise qu’ils ont eu la vie « dure » mais je pense que ça n’a pas toujours été facile. Alors les voir comme ils sont aujourd’hui me fait plaisir.
J’aime quand ils partent en « voyage ». J’aime quand ils osent s’offrir un repas dans un « établissement » (comprendre, un restaurant). J’aime savoir que même eux sont allés voir « Bienvenue chez les Ch’tis ». J’aime les voir s’émerveiller pour peu. Les voir encore si curieux.
Tout ça pour dire : est ce que ces moments, ces histoires je vais m’en rappeler toute ma vie ? Où vont les souvenirs quand ils s’en vont ? Partiront-ils aussi vite que la mort fauchera mes grands parents ? Est ce que, est ce que … ?
Août 2008