Une histoire dans l’Histoire

Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !

Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.

Monsieur de 85 ans debout derrière une trancheuse. C'est un ancien boucher.

Cher Victor ou cher Totor, si je veux faire comme tout le monde,

Vous êtes arrivé d’Italie le 1er mai 1950 aux Saillants pour rejoindre votre père qui avait « préparé le terrain ici » depuis quelques temps. « A huit ans, on apprend vite ». Effectivement ! Il ne vous faut que trois mois pour parler couramment le français, entre votre arrivée et les grandes vacances qui commencent alors le 14 juillet…

1950 est une année où beaucoup d’Italiens s’installent au village et deux clans se forment à l’école. Une personne m’a dit que vous vous nommiez entre vous les « patates pourries » contre « les macaronis ». Est-ce que c’est vrai ? Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. En tout cas, beaucoup des personnes rencontrées durant ce projet pensaient que vous étiez né ici tant vous faites partie du paysage et êtes connu.

Le travail est vite entré dans votre vie ou vous êtes entré bien tôt dans le travail ; je ne sais pas trop comment il faut dire. De 10 à 14 ans, vous travaillez tous les jeudis – à l’époque c’est le jour sans école – et toutes les vacances scolaires chez un oncle boucher.

14 ans, vous débutez officiellement votre apprentissage. Vous auriez bien aimé avoir un peu plus de temps libre pour jouer davantage au football avec les camarades. Cela ne vous empêche pas de garder un souvenir savoureux des tartes du bistrot de Mme Gamba où les joueurs se retrouvaient après le match. Je tairai ici les escapades avec vos copains dans le village munis de vos « lancières » !

Inspiré par votre grand frère, vous prenez à cœur d’organiser pour votre année de conscrit un voyage inoubliable. Je vous imagine bien au bord de l’évanouissement quand vous apprenez le prix d’un billet d’avion pour Tahiti ; les Baléares ont été une destination tout aussi exotique. Cette année-là, vous n’êtes que quatre filles et quatre garçons conscrits.

« On s’est fracassés pour récupérer de l’argent » m’avez-vous dit, notamment en organisant des bals pour financer ce beau voyage.

Au-delà des souvenirs, ce sont des amis pour la vie que vous avez trouvés. Je ressens le bonheur que vous évoquez de vous retrouver pour vos « mange-mange » ensemble réguliers. La douleur de commencer à perdre à présent ces amis d’une vie est palpable.

La vie a d’ailleurs filé à toute vitesse avec votre activité de boucher. Il n’a pas été possible d’avoir un prêt à la banque alors vous vous débrouillez pour emprunter à l’entourage et acquérir votre premier magasin aux Saillants en 1965. Il y a trois boucheries et chacune a sa spécialité. La vôtre : les andouillettes accompagnées des rissoles façonnées par votre femme, originaire de Prélenfrey.

Vous avez le téléphone mais pas le restaurant voisin, « alors les clients appelaient chez nous et on lui disait ‘tu as tant de couverts’. C’était à la bonne franquette ».

Difficile à imaginer maintenant, mais à l’époque il y a une vingtaine de commerces dans le village. Vous m’avez expliqué que « les gens travaillaient tous chez Vicat, ils avaient tous un vélo mais pas de voiture. Ils n’allaient pas ailleurs, ils consommaient ici ». Lentement, vous assistez à la mutation du village en « commune dortoir » et vous vendez la boucherie en 1980 pour acquérir un plus grand établissement ailleurs. Le travail continue de plus belle jusqu’à votre retraite.

La trancheuse et autres outils ont été remisés au sous-sol de votre maison mais continuent de servir. Pour vous mais aussi beaucoup pour les autres. Vous êtes aux fourneaux avec un ami pour plusieurs événements de la commune comme le Téléthon ; spaghettis et tripes au menu. Les « journées citoyennes » sont également de bons souvenirs. Le Covid est venu stopper beaucoup de ces événements et vous regrettez qu’ils n’aient pas repris depuis. Toutefois, vous êtes de ceux qui ne se « prennent pas la tête pour le lendemain et qui prennent ce qui vient ».

Je repars de chez vous avec un bocal de pâté et de sauce bolognaise. Mais le plus beau cadeau, c’est de m’avoir partagé cet incroyable parcours de vie empreint de simplicité, de modestie et d’incalculables heures de travail. Vous me faites penser au célèbre « self made man » américain. Est-ce que les gens savent qu’il n’y a pas besoin d’aller aussi loin et qu’on en trouve aussi au Gua ?

Vous qui dites être « manuel mais pas intellectuel », vous avez bel et bien été l’artisan de votre propre réussite. Je vous souhaite de tout cœur de connaître le bonheur de devenir arrière-grand-père et de continuer de vous émerveiller des montagnes qui vous avaient tant impressionné lors de votre arrivée.  

Mathilde

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Couple de nonagénaire souriant debout dans leur cuisine.

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