Une histoire dans l’Histoire
Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !
Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.
Cher Emile,
Vous êtes arrivé en 1973 aux Saillants depuis le village voisin de Miribel Lanchâtre où vous avez grandi. Vous m’avez dit « ça ne m’a pas fait un gros choc car c’est encore la campagne ». Mais j’ai bien compris que ce n’était pas tout à fait la même chose et qu’une partie de votre cœur est encore là bas. « Où on est né, on a des attaches ».
A l’aube de vos 14 ans, vous apprenez le métier de gantier avec votre père sur la petite ferme familiale. Hélas, c’était un « métier sans avenir » bien que vous l’ayez exercé quelques années. Vous travaillez ensuite à la tannerie de Varces. Et puis, pour la seconde fois, licenciement économique. « J’ai horreur d’être chômeur » et comme vous le rappelez, à l’époque, pas d’indemnité pôle emploi.
C’est en 1979 que vous devenez garde champêtre du Gua. Là encore, c’est un métier que les moins de vingt ans ne connaissent pas !
A l’époque, tout le monde vous connait et vous connaissez tout le monde. Vous intervenez aussi bien aux Saillants qu’à Saint-Barthélemy et qu’à Prélenfrey. En estafette au début puis au volant d’un C15. « Il s’agit d’aimer le travail, ça occupe ! » Vous adorez être dehors et ne pas toujours faire la même chose : vous êtes servi. Vous gérez la décharge, du nettoyage, les sorties des écoles et leur chauffage, la distribution du courrier de la mairie…vous tenez à préciser que vous n’avez jamais mis de PV : « y a un moyen de discuter avant d’en arriver là ! ».
Vous vous occupez aussi de placer les forains, notamment à la foire aux escargots du 13 mars. « Avant, c’était toujours le 13 mars, maintenant c’est le dimanche le plus proche du 13 mars ». Il n’y a pas que la date qui a changé ; le caractère agricole s’est aussi éteint. « Les semences, les outils, les casseurs d’assiettes … les gens réservaient leurs affaires pour la foire ; c’était l’une des premières du printemps dans la région ». On se remémore ensemble les autres fêtes du village, les bals à date fixe qu’on appelait la « vogue ». « Il y en avait trois aux Saillants et c’était toujours plein ».
Après vingt années passées au service de la commune, le temps de la retraite arrive. Vous dites ne connaître plus « qu’un quart » des gens du village maintenant. Parler avec les anciens qui s’arrêtent devant votre maison pour discuter, ça vous manque. « Mais des anciens, y en a plus beaucoup maintenant ».
Les voitures ont pris plus de place dans le village. D’ailleurs, peu après votre arrivée sur la commune, votre maison a été coupée en deux pour permettre de faire une rue plus grande pour les voitures ! « Maintenant c’est tout motorisé, on se fait un bonjour de la main, on n’a plus le temps de se parler ». Il n’y a pas que les voitures qui ont fait leur apparition, les téléphones portables aussi sont là désormais. Ils happent le regard de beaucoup et on devient transparent, invisible alors qu’on est à côté, si près. « La mentalité a changé » et la convivialité d’alors vous manque.
Ce n’est pas tellement que vous êtes contre le changement, c’est juste que « c’est allé beaucoup trop vite ». C’est assez vertigineux effectivement d’imaginer toutes les évolutions à la fois techniques et sociétales que vous avez connues depuis votre enfance où vous fauchiez à la main. Je me demande si, quand j’aurai votre âge, je ressentirai la même chose et je n’ose imaginer les évolutions dont j’aurai été témoin.
Si vous avez arrêté de chasser il y a quelques années, vous continuez de cultiver votre magnifique potager. La salade pourrait pratiquement alimenter la cantine scolaire tant elle abonde. Il me semble que c’est à cet endroit que vous êtes le plus heureux. J’espère de tout cœur que les gens oseront prendre le temps de s’arrêter pour discuter à travers le grillage. Je leur souhaite d’avoir la chance de voir l’un de vos rares sourires, pourtant si large et lumineux, dont vous m’avez fait le cadeau.
Mathilde
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