Une histoire dans l’Histoire

Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !

Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.

Monsieur de quatre vingt ans environ assis dans sa cuisine. Il porte un casquette et est souriant. une vieille gazinière à bois est en arrière plan.

Cher Pépétte (car Joseph, personne ne connait !),

Vous avez accepté de louper votre matinée de chasse pour me rencontrer. Vous me lancez un sympathique « ça va vous coûter cher ! » même si je vais avoir la chance de repartir avec un coup de « vin de chaton » ; alors vite, nous nous plongeons dans vos souvenirs.

Vous habitez depuis toujours l’une des fermes des Amieux. Toutefois, pour les beaux mois de l’année de mai à novembre, la famille transhume dans une autre ferme, plus reculée, à l’Echaillon. Vaches, poules, lapins et cochons font partie du voyage pendant lequel il vous arrive de « monter à cheval sur le cochon » avec votre sœur. Je souris en imaginant cette drôle de chevauchée.

Là-haut comme aux Amieux, vous êtes complètement autonomes : pain, beurre et fromage sont faits sur place. Aujourd’hui encore, il n’y a pas d’électricité au sommet et ça ne semble pas vous avoir manqué. Vous ne le savez pas encore mais c’est aussi là que vous rencontrerez celle qui deviendra votre épouse : la voisine des champs d’à côté.

A l’époque, on trouve six fermes aux Amieux. Vous aidez vos parents aux travaux agricoles : « on montait sur le banc pour mettre le collier au cheval ». Votre grand-père et votre père sont forestiers, ils font du bois de chauffage et des fagots pour les boulangers. Les femmes, elles, s’occupent des vaches pour le lait. Les travaux aux champs, au potager et à la vigne sont communs. On y pioche à la main. Un jour le cépage « noah » est interdit car « ça faisait trop travailler le chapeau ». Le « baco » se généralise dans toute la région.

Après le certificat, vous fréquentez deux ans l’école agricole de Crolles où, une semaine sur deux, vous suivez une formation complète : mécanique, forge, soudure, menuiserie…

A quinze ans, vous achetez votre première tronçonneuse avec l’argent du fumier que vous vendez aux ouvriers de Vicat pour amender leur potager. Vous travaillez à votre compte comme bucheron sans jamais avoir besoin de faire de réclame. A l’époque il faut aussi écorcher le bois, tout se fait à la main. Vous partez la semaine entière en forêt où vous dormez dans une cabane et le week-end, vous revenez à la ferme. Votre femme et votre mère s’y occupent des animaux. « Ça ne nous venait pas à l’idée de partir en vacances. De toute façon, avec les vaches, comment on aurait fait ? »

Vous prenez un peu d’avance sur votre année de conscrit et participez à la fête de ceux de l’année au-dessus : vous êtes un « accompagnant ». Vous prenez plaisir à aller aux bals, les vogues, bien que vous n’êtes pas « bien spécialiste » de la danse. Parmi la dizaine de bistrots ouverts aux Saillants, vous appréciez L’Anine et celui de Mme Gamba « là où il y avait la bascule ». On boit volontiers un rouge ou un blanc limé : du vin servi avec de la limonade.

En plus de votre activité de forestier, vous déneigez tous les hameaux de la commune jusqu’à la route de Château Bernard à l’aide d’un tracteur bricolé en chasse-neige. « Un 60 chevaux où j’avais mis une lame et derrière, un bloc d’une tonne ». Une année, il y a jusqu’à 1 mètre 80 de neige à Prélenfrey. Vous partez aux aurores le matin et n’êtes de retour qu’à une heure bien avancée de la nuit pour pouvoir tout faire. Votre femme se fait déjà du souci avec les risques inhérents au métier du débardage. Avec ces sorties nocturnes, vous ne la rassurez pas davantage !

Vous êtes conseiller municipal pendant deux mandats. Avec tout votre travail, les réunions du vendredi soir n’allègent pas vraiment votre emploi du temps. Mais vous notez que « si les gens s’engueulaient, le lendemain ils étaient de nouveau ensemble ».

Les lieux regorgent de souvenirs. Comme celui de la prise mémorable d’un sanglier de 160 kilos. Vous mangez la tête à Prélenfrey chez Monique avec une quarantaine de compères chasseurs : une vraie « java ».

Les années passant, les compères disparaissent. Tout comme les fermes. Personne pour reprendre. « Y a eu une sacrée évolution ». Vous auriez aimé que le changement se fasse sur une plus longue période pour qu’il soit moins brutal. Vous regrettez qu’il n’y ait plus grand monde pour spontanément « prendre le manche » et « donner la main ». Comment maintenir le caractère de ruralité du village avec l’arrivée de personnes étrangères à ce monde-là ?

A demi-mot, vous dites que vous auriez peut-être aimé que votre fils choisisse un métier moins « pénible » que le vôtre. A demi-mot, oui, car je sens que pour vous, cette vie passée dehors, malgré son caractère parfois éprouvant, était celle qui vous correspondait et celle que vous avez aimée. Votre femme le dit, « c’est dans les gènes ».

Derrière vous, le bois de chauffage que vous continuez de faire vous-même. Alors… « voilà, la vie de paysan et de bûcheron ».

Mathilde

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Couple de nonagénaire souriant debout dans leur cuisine.

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