Une histoire dans l’Histoire

Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !

Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.

homme nonagénaire, debout, les mains sur le dossier d'une chaise en intérieur et regardant à travers une fenêtre

Cher André, 

J’arrive chez vous et vous me tendez une feuille où vous avez écrit les grandes lignes de votre vie. Je m’y plonge et la lis à haute voix pour entrer ensemble dans vos souvenirs.

C’est en 1930 que votre histoire commence avec votre naissance aux Saillants. Vos parents tiennent l’une des trois épiceries du village. Votre papa vend de l’engrais aux cultivateurs mais il livre aussi de la limonade dans « tous les bistrots du pays ». Du haut de vos 10 ans, vous lui prêtez main forte et charriez avec lui les caisses en bois de bouteilles. « A l’époque, on trouvait de tout dans une épicerie ». Parfois, c’est votre maman qui vous envoie chercher de l’aspirine, de la quintonine et de l’élixir à la pharmacie de Vif pour les revendre à l’épicerie. Cette maman est « phénoménale » : une force de la nature qui ne s’arrête jamais entre l’épicerie, les légumes, les trois tonnes des pommes de terre cultivées et les vignes. Aujourd’hui, vous mesurez la « chance » et « l’avantage » d’avoir grandi dans un commerce : vous connaissiez tout le monde et n’avez manqué de rien.

Vous me faites aussi part de la liberté dont vous profitez enfant pour mener votre vie. Exception faite des sept années d’enfant de cœur où il faut être à la messe tous les matins à 7 heures avant d’aller à l’école ! La liberté, c’est dehors que vous la trouvez : aux beaux jours, vous jouez à la « p’tite guerre » entre clans de copains, et l’hiver, place à la luge. Pour reprendre des forces, vous vous régalez avec les « pétarins » que ramasse votre tante. Tout un chacun appellerait ça des « mûres » en français.

Avec le soutien de votre sœur pour combler votre point faible – les compositions de français -, vous passez le Certificat à 12 ans et continuez en BEPC à Vif où personne ne vous a détrôné de la première place pendant ces 4 années d’étude. Vous faites l’aller-retour deux fois par jour en bicyclette pour déjeuner en famille aux Saillants.

Chez Vicat, vous commencez à travailler au bobinage. Vous reprenez ensuite l’entreprise de transport Arribert qui appartient à votre beau-père. Vous la développez et gagnez de nouveaux contrats en transportant un peu de tout un peu partout. La satisfaction du client est votre maître mot. L’arrivée de vos fils dans la société continue de la dynamiser. « Le métier était varié, c’est ça qui me plaisait ». Alors que vous êtes bien occupé, vous vous engagez pour un mandat au conseil municipal et prenez en charge les finances et les travaux. En 1990, c’est la retraite mais vous n’avez jamais vraiment cessé de vous occuper de la mécanique, l’atelier étant en face de chez vous. Vous non plus, vous n’avez pas compté vos heures de travail. 

Les années passant, vous commencez à rassembler vos souvenirs de la commune et à les transmettre, notamment lors des journées du patrimoine. Ensemble, nous relisons quelques-uns de vos écrits sur la guerre de 1939-1945. A cette époque, vous avez interdiction d’écouter la radio. Vous sentez bien qu’il se passe quelque chose puisque des inconnus viennent faire leurs commissions à l’épicerie. « Des réfugiés du nord » vous répond votre maman de manière expéditive. A mesure que je lis le passage, vous revivez les scènes, « je la revois exactement cette mitrailleuse à l’entrée du pont, braquée sur l’Echaillon ». Après 21 heures, c’est le couvre-feu : plus aucune lumière n’est autorisée à l’intérieur de la maison. Puis le 15 août 1944, retentit le vrombissement des moteurs des avions qui lâchent une pluie de petites languettes d’aluminium brillantes : « soit disant pour couper les ondes radios ». Et quelques jours plus tard, l’arrivée des Américains au Gua. Le tout jeune homme en vous est subjugué par la « mécanique moderne et solide » des tanks et GMC.

Un de vos fils qui vit à l’étage de la maison vient nous saluer. Vous lui dites : « On se remémore le passé, ça fait du bien ». Aujourd’hui, vous avez le sentiment que « la vie n’est pas aussi belle que celle que j’ai connue ». Comme d’autres, vous trouvez que les changements sociétaux sont allés trop vite. Il y a si peu de liens entre les nouveaux et les anciens habitants, « c’est à peine si on se dit bonjour ». Vous le regrettez, vous qui avez tant aimé cette « vie agréable à la campagne ».

Comme on referme un livre après avoir fini de le lire, vous me dites : « voilà, je vous ai tout dit ». Et pourtant, comme un livre qu’on a aimé et qu’on ne veut pas poser, j’ai le sentiment qu’on aurait pu parler encore pendant des heures. Vous êtes une mine de savoirs. Je repars de chez vous avec cette précieuse lettre. Et votre écriture me rappelle celle de ma grand-mère.

Mathilde

 

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Couple de nonagénaire souriant debout dans leur cuisine.

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