Une histoire dans l’Histoire

Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !

Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.

Passeur de mémoire #12

Paysan âgé assis chez lui dans son intérieur simple. Il porte une casquette. il sourit et regarde franchement l'appareil photo.

Cher Aimé,

Avec votre doux prénom, vous êtes né « pour la Saint Valentin » de 1943, même si je pense bien qu’à l’époque on ne faisait pas ce rapprochement. On se rencontre dans votre maison aux Amieux, en contre-bas de la ferme familiale où vous avez passé la plus grande partie de votre vie. Au moins trois générations y ont vécu avant vous.

Vos parents sont à la fois cultivateurs, viticulteurs, producteurs de noix et éleveurs. « Si on n’te trouvait pas, y avait qu’à aller à l’écurie » disait votre nourrice. Dès votre plus jeune enfance, ce sont les bêtes qui vous passionnent. Ça vous déchire le cœur lorsque votre père vend une de vos vaches préférées, même en promettant de vous en retrouver une aussi belle. « Tu n’ferras pas bon marchand si tu t’attaches trop aux bêtes ! »

Ces vaches, des montbéliardes et des villardes, il faut parfois aller les chercher de l’autre côté de la montagne à la foire de Villard-de-Lans. Vous partez tôt le matin et rentrez tard le soir, à pied bien évidemment, par le Col Vert.

Le pied sur le banc à traire, votre père vous enfile des « motières », sorte de bandages sur le pantalon et les chaussures, pour empêcher la neige de rentrer et pouvoir ainsi descendre à l’école à pied en hiver. « J’ai jamais bien aimé l’école, il m’a semblé que j’étais bien avec mes parents, bien à travailler, dehors. » Vous faites un rapide passage au collège agricole à Crolles. « C’qu’ils racontaient, moi je le savais déjà. La pratique on apprend mieux en la pratiquant. Même si on fait des erreurs, on fait mieux la fois d’après ». Vous apprenez seul à conduire les tracteurs. En commençant à vous faire la main « en avant, en arrière » sur un vieux Farmall à essence. Bien des années plus tard, ce tracteur servira au tournage du film Mais y va où le monde de Serge Papagalli.

A 13 ans et demi, à l’heure où vous commencez à travailler à la ferme, un marchand passe récupérer les peaux de lapin, « Oh ! Peaux de lapins ! ». Vous n’êtes jamais le dernier à blaguer. Un paysan vous traite de « Co…co…coquins de dieu » après que vous lui ayez caché sa herse en haut d’une perche de paille avec un de vos comparses. Plus tard, vous prenez aussi plaisir à fréquenter les vogues des différents villages et à faire la fête pour votre année de conscrit. « Aujourd’hui, les gens y savent même pas qu’ils sont conscrits ! »

Dans les années 60, le Crédit Agricole arrive à Vif. « Les administrateurs, c’était les agriculteurs ». Vous vous souvenez très bien du directeur, rue Champollion, dans l’unique pièce de l’agence : « une vieille table, quatre chaises et y manquait même une latte dans le plancher en bois ! ». Vous obtenez un prêt : « Fallait que je vende un veau par an pour rendre. A l’époque, le matériel coûtait pas aussi cher qu’aujourd’hui… une moissonneuse batteuse maintenant, ça coûte plus cher qu’une maison ! » Vous vous questionnez sur la « vraie » valeur des choses aujourd’hui. « C’est bien le moderne, je suis pas contre, mais c’est trop ! »

Aux Amieux, vous dites que tout le monde s’entendait relativement bien. « C’était une vie de village. On coupait par les chemins du voisin, c’était pratique pour les bêtes, on se rendait des services. Même pour les vêlages qui se passaient pas bien ». Aujourd’hui, ça a bien changé, c’est plus pareil… mais « c’est la capitale du village, on a l’élite, on a le maire ! ».

A l’âge où les gens sont en retraite depuis de nombreuses années, vous Aimé, vous travaillez encore aujourd’hui. « J’ai 18 vaches et veaux…j’en ai vendu 23 y a pas longtemps, j’en avais trop ». Mais vous avez réalisé votre rêve de petit garçon : quelques vaches sont là depuis des années et vous ne les vendrez certainement jamais. « Elles connaissent par cœur le chemin d’un parc à un autre ». Vous avez d’ailleurs reçu une lettre de remerciement de propriétaires terriens : « avec mes animaux, j’ai amélioré tous leurs terrains. Plus c’est pâturé, plus l’herbe repousse ».

Les gens d’ici peuvent vous croiser au volant de votre C15 blanc. D’ailleurs, les gendarmes aussi vous connaissent, « s’il y a un embouteillage, ils disent ‘ça doit être le C15 qui est devant’ » !

Avec votre voix calme et posée -qui s’élève parfois contre Bergère, votre chienne, qui a un peu la bougeotte – vous dites « oui, j’ai connu la belle époque ».

Je m’apprête à vous quitter et vous me demandez si vous avez « bien » raconté : notre échange m’a touchée en plein cœur. Vous m’avez confié que votre plus grande fierté est d’avoir réussi à vous accepter comme vous êtes. L’enseignement de la simplicité et de l’humilité comme leçons de vie et horizon du bonheur… merci Aimé.

Mathilde

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Couple de nonagénaire souriant debout dans leur cuisine.

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