Une histoire dans l’Histoire

Ils et elles ont vécu les évolutions de votre commune … découvrez leur histoire !

Projet photo réalisé pour le CCAS de la commune de Le Gua en Isère en octobre 2023. Je suis allée à la rencontre de douze habitants de plus de 80 ans des trois hameaux pour recueillir leur témoignage sur la vie d’hier et d’aujourd’hui à travers leur histoire.

Passeur de mémoire #1

Cher Raymond, 

On se rencontre à Saint-Barthélemy, dans la maison de votre enfance et même de votre naissance. Vos yeux bleus pétillent et votre voix redouble de malice à mesure que nous plongeons dans vos souvenirs.

Enfant, vous « donnez la main » à vos parents cultivateurs et viticulteurs pour tout ce qu’il y a à faire. « Ouhh, non d’un chien, pour les vendanges on gelait de froid. On faisait un feu à la cime du rang pour se réchauffer les mains. » Toutes les vignes sont alors piochées à la main. Plusieurs clients viennent acheter le vin produit en tonneaux de 75 ou 100 litres, souvent à cheval et « c’était toujours… pas trop en règle ». Difficile d’imaginer le paysage recouvert de vignes aujourd’hui.

A l’époque, le catéchisme et l’église sont aussi importants que l’école mais vous gardez de meilleurs souvenirs de l’école que de la messe à servir. « On était obligés ». Vous en retenez tout de même un point positif : le dimanche, jour du seigneur, est le jour de la semaine où vous changez de tenue pour « les affaires du dimanche ».

 

Si l’église vous ennuie, vous trouvez malgré tout de quoi vous amuser. Votre nièce et petite-fille présentes ce jour avec nous ne savent pas quelle bêtise vous faire raconter tant elles semblent nombreuses. « Ils nous menaçaient du gendarme, ça nous faisait peur…et les parents, s’ils avaient su !! » J’ai en tout cas retenu que vous aviez bien compris la physique, notamment les avantages du relief. Une nuit, alors que les routes commençaient tout juste à être goudronnées, vous décidez de tester les lois de la pesanteur avec « un collègue toujours vivant »« Et si on faisait rouler les tonneaux de goudrons…et…une fois qu’ils avaient pris la pente…ben…pour les arrêter…!! » Une autre fois, c’est le laitier qui trouve un tronc de sapin lui barrer la route de Prélenfrey… « sur sol enneigé, ça glisse très bien ! »

C’est sur cette même route, alors que vous y montez les vaches de votre grand-père, que vous croisez un maquisard : « Descends Raymond, les Allemands tirent sur tout c’qui bouge ! ». Vous avez peur de vous faire gronder à redescendre si vite mais vous suivez le conseil. « Heureusement que les maquisards n’ont pas fait de résistance car sinon le village y serait passé. »

A 15 ans, vous devenez postier remplaçant. Mais les papiers sont faits au nom de votre frère aîné car il faut avoir 16 ans. Le vieux vélo de votre père sera votre fidèle destrier pour les tournées, enfin… uniquement en descente. Vous desservez Saint-Barthélemy puis Miribel Lanchâtre jusqu’au Vernay après avoir récupéré le courrier le matin à 7h aux Saillants. Une trentaine de kilomètres à parcourir tous les jours. Les gens vous invitent volontiers à « boire un coup ». Vous vous souvenez des enveloppes de Vicat contenant les payes qui arrivaient par le car aux Saillants. « Chaque enveloppe contenait 1 million de francs en billets » mais elles étaient tout de même scellées par un cachet de cire.

Après votre service militaire en Allemagne « mais dans les chasseurs d’Afrique », vous commencez à travailler à la tannerie de Varces. « On pouvait pas rester sans travail ». Ça paye mieux que facteur mais vous êtes à l’endroit « le plus mauvais de l’usine ». De 4h du matin à midi, vous vous occupez à « la rivière » pour « faire tomber le poil » des peaux de vaches salées. L’après-midi, vous faites des livraisons de foin et de bois pour votre compte, au volant de votre fidèle Renault à essence, un 3 tonnes. « Fallait voir les chargements qu’on faisait !! »

Et puis, vous entrez à la cimenterie Vicat, car même s’il faut travailler le samedi, le dimanche et parfois la nuit, là encore ça paye mieux. Vous occupez là le poste de meunier : vous broyez la pierre au fond de l’usine et l’envoyez dans les silos. Les premières années, il n’y a pas de dépoussiérage, ni même de moyens de protection. Votre mouchoir en tissu est bien dérisoire : « y a des journées, on finissait, tellement y en avait, on voyait plus que les yeux ! ». Il n’y a pas que les images qui restent, il y a aussi ces particules de poussière qui, malheureusement, sont restées dans vos poumons.

A la retraite, vous vous investissez dans l’association du village de Saint-Barthélemy. « On faisait beaucoup de choses », notamment la fête d’août « la vogue ». C’est une sacrée préparation. Pour gagner quelques sous, vous vendez 200 pains d’un kilo que vous pétrissez et cuisez vous-même au four à pain, perpétuant la recette et le savoir-faire de vos parents. Les recettes de la journée permettent ensuite aux adhérents du village de partir tous ensemble en voyage.

« Vous vous rendez compte… » Le temps de l’école, des deux restaurants et de l’épicier ambulant semble bien loin. Avant, tout le monde se fréquentait, se connaissait. « Toutes les nouvelles constructions…tout le monde travaille en bas maintenant ! On se parle avec les voisins mais on ne se voit jamais ! ».

Vos enfants et petits-enfants sont eux toujours à Saint-Barthélemy. Vous faites toujours partie du club de chasse bien que vous ayez pris un poste plus reculé mais tout aussi nécessaire dans une équipe, celui de chauffeur.

A l’aube de vos 91 ans, que ce soit pour le travail, les voyages et le reste, vous dites « je peux partir, j’en ai bien profité ! » dans un élan de vie encore bien palpable.

Mathilde

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